Cybercarnet d'AIDE

Les aumôniers sur les lignes de front : le récit de Jacek

Cet été, Norton Lages, directeur d’AIDE, a parcouru la Pologne et l’Ukraine, accompagné de Ben Taylor, missionnaire du Fellowship à l’étranger. Ils ont rencontré les dirigeants d’Églises locales qui servent les Ukrainiens touchés par la guerre et qui répondent à leurs besoins. En Pologne, ils ont rencontré Jacek et se sont entretenus avec lui pour parler de ses expériences. Cet aumônier a servi les habitants et les soldats sur les lignes de front. Voici un extrait de cet entretien.


Norton : Bon, alors, pourquoi ne pas commencer par nous dire votre nom, d’où vous venez et pourquoi vous vous êtes investi dans ce ministère?

Jacek : Je m’appelle Jacek et je viens de Wrocław, en Pologne. Je me suis investi parce que j’ai cela à cœur. Au début de la guerre, je me suis rendu à la frontière pendant quatre jours comme bien de gens. Je ne me suis rendu qu’à la frontière. C’est tout ce que je me suis autorisé à faire, pour mon épouse.

Le onzième jour de la guerre, je parlais à mon épouse au téléphone. Je me suis rendu compte que les gens qui pouvaient fuir en avaient les moyens, de l’argent, des amis, des relations. Ceux qui ne possédaient absolument rien demeuraient coincés. Et nous devons les atteindre. Mon épouse m’a donné sa bénédiction pour franchir la frontière et aider ces gens.

Pour moi, tout tourne autour des gens.

Ben : Jacek était autrefois un toxicomane.

Jacek : Je connais ce que sont les bandes criminalisées, je connais ce qu’est la pauvreté, je sais ce qu’est la faim. À cause de cela, j’ai été façonné par l’éducation que j’ai reçue à la maison. Et je crois qu’il m’est plus facile pour moi de comprendre l’affamé ou celui qui est perdu. J’ai compris le facteur de la criminalité qui pouvait survenir. Et que les gens pouvaient se faire exploiter.

Une fois que j’ai franchi la frontière, j’ai compris que les besoins à la frontière polonaise étaient différents de ceux des gens qui habitent plus loin en Ukraine. Dans de nombreux endroits à l’ouest de l’Ukraine, les gens étaient tout simplement fatigués et avaient besoin d’un endroit pour dormir en sécurité. Je savais que nous voulions nous rendre aussi loin que possible vers le Donbass, où avaient lieu les combats. Ce qui voulait dire que nous ne nous arrêterions pas dans la région ouest de l’Ukraine, malgré les souffrances de cette région.

Et Dieu nous a conduits pour atteindre le Donbass à la fin. Nous étions en fait très près du lieu où se trouvaient postés les Russes. La première expédition s’est centrée sur le travail auprès des soldats. Pendant notre séjour là-bas, nous avons rencontré des enfants, coincés à 30 kilomètres des lignes de front où des combats faisaient rage. Un peu plus tard, nous avons trouvé un groupe de personnes plus âgées à environ 20 kilomètres des combats. Pendant que nous tentions de savoir comment les aider, nous avons rencontré Valery, un croyant ukrainien qui travaille à la réadaptation des toxicomanes. Il est resté sur place pour aider les aînés et les enfants.

Puis nous avons commencé à travailler auprès de trois groupes différents. Auprès des soldats, des aînés et des enfants qui habitent tous dans la région du Donbass où les combats faisaient rage.

Certains enfants ne peuvent s’échapper, parce que leurs parents sont alcooliques ou toxicomanes.

Ben : Si vous regardez à la chaîne CNN les villes de Bakhmout, Avdiïvka, Toretsk, Vouhledar ressemblent à l’enfer sur terre, n’est-ce pas? C’étaient de grandes villes de la région du Donbass.

Ils ont fait l’objet de reportages aux nouvelles à cause de l’intensité des combats qui ont eu lieu dans ces villes. Elles ont été entièrement détruites. Ces villes ont été rasées et entièrement détruites lors des combats.

Jacek : 100 000 personnes habitaient dans cette ville, qui a entièrement disparu.

Norton : Il ne reste aucun immeuble?

Ben : Aucun. Rien n’est resté debout.

Norton : Pas d’électricité? Pas d’eau? Rien?

Jacek : Rien. Cette région est maintenant sous contrôle russe.

Norton : Jacek, vous avez parlé de vieillards et d’enfants? Où sont-ils allés?

Jacek : Nulle part. Ils étaient coincés.

Norton : Dans cette région?

Jacek : Oui. Parce qu’ils n’avaient pas d’argent, ils n’ont pas de relations. Leurs parents sont toxicomanes.

Ben : Ils ont des parents toxicomanes. La pauvreté demeure si extrême qu’ils ne peuvent imaginer obtenir une vie meilleure ou de vivre dans de meilleures conditions. Ils ont peut-être cette maison faite de béton de boue, très rudimentaire. C’est tout ce qu’ils ont. Ils ne peuvent pas la quitter. Ils craignent de partir parce qu’ils n’auront même pas cela.

Norton : Sont-ils encore là-bas?

Jacek : Oui. Ils habitent toujours dans le Donbass.

Jacek : Maintenant, les Russes se sont emparés de cette région. Il n’y a aucune liberté de mouvement. Ce lieu est entièrement coupé de toute communication.

Très souvent, les parents toxicomanes ne font qu’attendre les Russes. Ce sentiment est répandu : « Oh, eh bien, maintenant, il y a des combats. Mais lorsque les Russes viendront là-bas, les combats cesseront et les Russes régleront tout. » Un mythe se répand, selon lequel les villes ont déjà été reconstruites par les Russes. Nous n’en n’avons pas la preuve. Nous ne voyons aucune ville reconstruite.

Pour ces enfants, nous avons confectionné des colis de nourriture, de jouets et de douceurs. Des médicaments pour les soldats. Et également des colis pour les personnes âgées.

La plupart de ces colis renferment des effets semblables à ceux que j’aurais eu besoin lorsque j’étais un toxicomane démuni. Je me souviens de ces moments où j’ai remis ces colis. Même s’il s’agissait d’un don unique, il touche les gens qui les reçoivent. Ce colis leur montre que le monde n’est pas si mal. Il comble leurs besoins essentiels.

Ben : Ils tentent d’atteindre les personnes qui vivent dans de telles circonstances avec ces colis qui répondent à leurs besoins fondamentaux, des biens essentiels.

Norton : La nourriture, les denrées essentielles.

Jacek : Oui. Ils n’ont pas d’accès à de l’eau potable. Ou celle à laquelle ils ont accès est polluée et impropre. Les enfants n’ont pas d’électricité. Très souvent, il n’y a pas de médecin ni d’accès à des soins médicaux.

Nous avons organisé une rencontre pendant l’hiver. Nous avons pris soin de 60 enfants. Nous les avons rencontrés. Leur odeur ressemblait à celle des itinérants, parce qu’ils n’ont pas accès à de l’eau pour se laver.

Norton : Dans de telles situations, j’imagine qu’ils ne font que dormir et attendent leur prochain repas?

Jacek : En grande partie, c’est plus ou moins le cas. Ils ont très peu d’éducation, parce qu’il n’y a pas d’école, à cause de la COVID, ensuite la guerre a éclaté. Ils ont passé quatre ou cinq ans sans éducation. Ils sont en vie, mais c’est tout. Ils sont coincés dans les rues, ils se battent.

Norton : Y a-t-il des pasteurs dans cette région?

Jacek : Oui, mais pas à l’heure actuelle ni là où les enfants se trouvent, parce que lorsque les lignes de front bougent, les gens apeurés fuient.

Ben : Nous avons beaucoup d’autres récits de pasteurs qui ont été appréhendés, emmenés en Russie et qui ont disparu. Nous ignorons ce qu’il leur est arrivé. Ils ont été emmenés à cause de leurs liens dans la région de l’ouest.

Jacek : Il y a un groupe d’aumôniers militaires comme nous. Nous rencontrons les enfants et passons du temps auprès d’eux. C’est notre principal objectif. Étant donné que nous sommes près du front, nous visitons aussi les soldats pour prier avec eux et leur apporter des fournitures médicales élémentaires comme des pansements. Nous leur enseignons comment sauver une vie, lorsque l’un de leurs camarades se fait tirer dessus. Il n’y a pas d’hôpital normal. Les hôpitaux sont la cible de tirs constants. Nous nous rendons aussi dans les hospices où les personnes âgées attendent la mort. Nous leur témoignons et nous répondons à leurs besoins sur place.

Norton : Dois-je comprendre que vous avez l’occasion de passer du temps avec les soldats blessés qui n’ont pas été encore démobilisés?

Jacek : Il y a plusieurs postes pour les médecins militaires où les soldats sont conduits pour être stabilisés. Ils sont ensuite conduits à des hôpitaux spécialement conçus pour accueillir les blessés. Ces hôpitaux ne sont pas identifiés, par crainte d’être ciblés par les attaques. Nous avons accès aux postes de stabilisation avant que les blessés ne soient conduits ailleurs. C’est là que nous les rencontrons et que nous leur témoignons de l’Évangile, pendant ces moments importants où ils peuvent ne pas se remettre de leurs blessures. Nous tentons de leur donner l’occasion de connaître leur Seigneur et Sauveur.

C’est un ministère ukrainien. Mon ami Valery l’organise. Nous les rejoignons et nous les aidons à augmenter leurs capacités.

Norton : Comment vous sentez-vous dans ces circonstances?

Jacek : Je ne ressens rien.

Norton : Rien?

Jacek : Rien. Ce n’est qu’à mon retour ici… C’est à ce moment-là que je le ressens. Lorsque vous y êtes plongé auprès des enfants, vous vous concentrez sur votre travail. Vous ne pouvez pas penser à l’injustice. C’est lorsque je reviens ici, je commence à y penser beaucoup.

Nous ne prêchons pas sur Dieu. Il ne s’agit pas de pousser l’Évangile en leur disant : « Jésus t’aime ». Parce que c’est très difficile de dire à quelqu’un qui vit dans l’enfer que Jésus l’aime. Cela est très difficile à entendre. Voilà pourquoi nous parlons de Dieu, d’une manière qui attire les gens. Ils demandent : « Pourquoi fais-tu cela? » Nous pouvons ensuite commencer à leur parler de Dieu de manière plus approfondie. C’est de Dieu, qui habite en nous, dont il est question. Je n’aime pas forcer les gens à penser d’une certaine manière. Et j’ai entendu dire des choses de ce genre : « Écoute d’abord l’Évangile, ensuite nous te nourrirons. » ou « Vous n’aurez de nourriture que si vous priez avec nous. » Nous ne faisons rien de tout cela. Aider ces gens demeure notre priorité. Nous montrons aux gens qu’ils ne sont pas seuls. Et ce n’est que lorsqu’ils commencent à nous poser cette question : « Mais pourquoi faites-vous cela? » que nous commençons à leur en parler; que nous faisons cela à cause de Dieu.

Norton : Parce que Jésus l’a fait pour nous.

Jacek : Précisément!

Mais vous ne pouvez pas parler de l’amour de Jésus aux gens qui vivent l’enfer. Ils côtoient la mort, ils voient la destruction. À Bakhmout, où nous œuvrons, 300 000 personnes sont mortes en quatorze mois. Des jeunes, ils avaient notre âge. Ils sont morts.

Norton : À quoi ressemble la lumière de l’Évangile au milieu de tant de ténèbres? Comment l’Évangile brille-t-il? Quel est le récit qui vous permet de continuer dans ces sombres lieux?

Jacek : J’ai été sauvé il y a vingt-cinq ans. J’étais un toxicomane et je faisais partie d’une bande. J’étais un criminel. J’ai été sauvé. Dieu m’a secouru. Depuis ce temps, je m’accroche à Dieu. Je sais que j’ai commis de très mauvaises actions, mais Dieu m’a secouru. Je veux simplement faire de même pour les autres. En ce moment même, il y a une guerre. Les gens ont quand même besoin de l’Évangile. Ils ont besoin de l’espérance de l’Évangile.

Je suis fatigué, je suis seul, je n’ai ni argent ni formation, mais Dieu continue à pourvoir à mes besoins, alors je continue à le servir. Un feu m’habite à l’intérieur de moi qui me permet de continuer.

Norton : Vous êtes à risque ici. Chaque jour. Mais vous n’y pensez pas, n’est-ce pas?

Jacek : Mon passé est un cadeau dans cette situation, par rapport au temps où je vivais sans Dieu.

Ben : Il a vécu dangereusement auparavant.

Jacek : Maintenant, cela est une bénédiction.

Je n’accomplis pas une chose grande et merveilleuse, mais c’est quelque chose. Nous entretenons des relations avec les gens. Nous ne faisons pas qu’ouvrir le coffre de la voiture pour simplement leur remettre la nourriture et repartir ensuite. Nous rencontrons des enfants, des personnes âgées et des soldats. Nous tentons de comprendre ce qui se passe dans leur vie et quels sont leurs besoins. Je travaille avec des Ukrainiens qui sont vraiment formidables.

Norton : La fraternité survient dans des lieux sombres. C’est un don de Dieu.

Je voulais ajouter une chose : « merci ». Nous allons vous soutenir tant et aussi longtemps que nous disposerons des fonds nécessaires. Tant et aussi longtemps que Ben nous dira de continuer, nous allons continuer à vous soutenir. Nous voulons aussi prier pour vous.

Jacek : J’ai besoin de prières beaucoup plus que d’argent.

Norton : Oui. Alors, si vous avez besoin davantage de prière que d’argent, pouvez-vous nous dire comment nous pouvons prier pour vous? Quelles sont les deux ou trois requêtes pour lesquelles nous pouvons prier pour vous et les deux ou trois requêtes pour le ministère?

Jacek : La première requête est pour mon foyer. Priez pour que je ne ramène pas ces ténèbres à ma femme et à ma fille. Après avoir été exposé aux réalités des lignes de front.

Priez pour les personnes que j’aide.

Priez pour notre sagesse pour connaître le bon moment où nous partons et le bon endroit où nous rendre. La prière est efficace et je veux continuer pour bien exercer ce ministère.

Ce que nous faisons demeure un ministère qui coûte cher, qui comprend des déplacements et des fournitures. Dieu continue de pourvoir à nos besoins. Priez cependant que les fonds nous parviennent.

Priez pour que je puisse revenir à la maison en santé et en sécurité.

Norton : Nous allons prier pour vous.

(Jacek est le soldat qui figure au centre de cette photo.)


Vous joindrez-vous à la salle de prière numérique Pray for Ukraine, pour prier avec nous pour Jacek, pour les autres aumôniers et pour les dirigeants des Églises locales qui exercent un ministère auprès des personnes les plus touchées par la guerre en Ukraine?

Inscrivez-vous à la salle de prière